D. 3ème
sujet : De la solitude des musiciens de fond.
Avec ce troisième
sujet, nous souhaitons aborder les difficultés
d'édition de certains musiciens.
Il s'agit certes souvent de musiciens peu connus, mais
parfois il s'agit de musiciens célèbres et/ou
de notoriété incontestable.
Pour l'heure, nous évoquerons les problèmes de
ceux-la.
D'ailleurs, nous ne ferons
qu'effleurer, à partir de quelques exemples, les
problèmes soulevés par cette situation.
Premier exemple : En 1957
et en 1958, John Coltrane et Thelonious Monk se sont
produits ensemble dans un célèbre club, le
Five
Spot.
Plusieurs heures d'enregistrement ont été
réalisées par la femme de John Coltrane, ainsi
que, en répétition, au domicile de la Baronne
Nica de Koenigswarter .
Il paraît que John Coltrane passait des heures
à écouter, les yeux fermés, les
enregistrements réalisés par Naïma
(soyons bien clair : il ne s'agit pas de ceux publiés
dans le commerce). Ils constituaient pour lui, presque le
sommet de la musique !
Ces enregistrements n'ont jamais été
édités (hormis 40 minutes
éditées par Michael Cuscuna).
Pour plus de précisions à ce sujet, nous vous
conseillons de vous reporter au livre de Jacques Ponzio et
François Postif (Blue Monk), notamment aux pages 186-187.
C'est incompréhensible. Et ce d'autant plus si l'on
songe à l'aura dont bénéficie (à
juste titre) John Coltrane.
Actuellement, ils seraient en possession de Ravi, le fils de
John Coltrane.
Souhaite-t-il garder ces
bandes pour lui-même ?
Si cela était le cas, c'est très discutable,
ou plus précisément pas "correct" pour les
passionnés de John Coltrane ; leur passion permettant
aussi de perpétuer la mémoire de son
père.
Et, d'ailleurs, il n'aurait pas le droit de garder ce
trésor ainsi de manière égoïste
car il convient de souligner qu'il s'agit aussi
d'enregistrements de Monk. Et, donc, en mémoire aussi
de cette autre grande figure du jazz, il convient d'offrir
au public ce trésor.
Ou souhaite-t-il les
mettre à l'abri des requins ?
On peut évoquer plusieurs situations.
A l'époque, John Coltrane, tout comme Thelonious
Monk, était sous contrat avec un grand label. Ce qui
leur interdisait d'effectuer des enregistrements hors de ce
label, sans autorisation préalable.
Si cela était la raison : il suffirait d'obtenir
juridiquement une autorisation (donnée à
posteriori). Ce label aurait à y gagner des lauriers
de la part des passionnés de Coltrane et de Monk
(d'ailleurs cela serait notifié sur la couverture du
CD) et il aurait tout à y gagner (de ces lauriers)
puisqu'en 2007, cinquante années se seront
écoulées et que ces enregistrements pourront
tomber, sans casse, dans le domaine public.
Autre situation : Ravi
Coltrane ne trouve pas les moyens d'éditer ces bandes
sans en prendre un minimum de bénéfices (ce
qui est compréhensible).
Cette situation n'est pas
rare.
En voici d'ailleurs un
autre cas, notre deuxième exemple.
Dans les années 1960, Bud Powell a été
accueilli en France par quelqu'un qui l'admirait et qui l'a
soutenu d'une manière exemplaire, et sur tous les
plans.
Ce qui contrasta avec le peu de soutien (financier) qu'il a
obtenu Outre-Atlantique (suivez-mon doigt), notamment quand
il a été hospitalisé.
Francis Paudras a réalisé de nombreuses photos
de Bud Powell et il possédait de nombreux
enregistrement de Bud.
De son vivant, il en a offert certains à Cecilia, la
fille de Bud, qui ont été partiellement (?)
commercialisés.
Donc, le fils de Francis
Paudras possède des documents photographiques et
sonores inestimables pour les passionnés de
Bud.
Un journaliste nous a
indiqué que le fils de Francis Paudras étaient
souvent contacté à ce sujet par des compagnies
de disques. Et qu'il redoutait de tomber sur des
requins.
Donc, il s'agirait d'une situation peut-être similaire
à celle que rencontre le fils de John
Coltrane.
Ne conviendrait-il pas
pour ce genre d'enregistrements, à condition qu'ils
aient effectivement la valeur artistique qu'on leur
attribue, qu'ils puissent être édités
par une sorte de label indépendant qui
n'éditerait que ce genre d'enregistrements et qui
serait financé par des organismes publics et par le
résultat d'une taxe qui serait imposée aux
plus grands labels (leur nom serait mentionné sur le
CD, pour les remercier de leur participation à ce
sauvetage ; ce qui n'est pas rien du point de vue du
prestige que ce genre de réalisation peut avoir aux
yeux, ou plus précisément aux oreilles, de
mélomanes qui sont aussi des
consommateurs...).
Il existe d'ailleurs
déjà certains labels indépendants qui
se sont donnés cette tâche comme objectif, avec
beaucoup de courage et de mérite, mais avec les
moyens du bord... Nous évoquerons justement l'un
d'entre eux dans le quatrième exemple.
Auparavant, nous
relaterons un autre cas "juridique" dans un troisième
exemple.
Il concerne encore une très grande figure du jazz :
Charlie Parker. Sa dernière compagne, Chan,
possède de nombreuses bandes qu'elle n'a jamais pu
éditer car, n'ayant pas été
mariée officiellement, elle en aurait perdu tout le
bénéfice en les publiant. Il serait temps que
les exécuteurs testamentaires se mettent d'accord et
arrêtent d'exécuter le souvenir de Charlie
Parker !
Quatrième exemple :
Jazz Records est un label indépendant qui a
été créé par le grand pianiste
Lennie Tristano. Il a été dirigé
successivement par ses filles, Carol et Tania. Plusieurs
musiciens ont participé à cette belle
entreprise (Lenny Popkin, Connie Crothers, etc.).
Ils ont d'ailleurs un site Internet : <www.jazzrecordsinc.com>
Ils possèdent de nombreuses bandes inédites de
Tristano et de divers membres de l'école de
Tristano.
Donc, ces musiciens sont devenus des professionnels de
l'industrie du disque. Ce qui leur donne une liberté
importante en tant qu'artistes quand ils s'enregistrent
eux-mêmes. C'est un des points essentiels qui avait
conduit Charles Mingus à créer lui aussi sa
maison de disque. Ce qui n'a jamais été bien
vu aux yeux (et des oreilles !) des grands labels. Mais ils
n'ont pas les moyens des grands labels...
En réponse à
un e-mail adressé à Lenny Popkin, il m'a
confirmé les difficultés pour réaliser
la publication de tels bandes inédites.
Et pourtant, ils signent et persistent : récemment,
ils ont pu éditer une perle rare : un inédit
de Tristano avec la chanteuse Betty Scott.
Il conviendrait qu'un tel
label courageux puisse bénéficier de l'aide
que nous avons évoquée à la fin de
notre précédent exemple.
Une autre solution serait qu'un tel label puisse s'associer
à un autre label pour des projets ponctuels.
Cela ne serait possible que s'il n'y avait pas un risque que
ce label soit absorbé (d'emblée ou
progressivement).
Il aurait convenu de
donner d'autres exemples ponctuels. Nous y reviendrons
dès que possible.
N'hésitez-pas à nous
communiquer un petit texte
évoquant de telles autres situations.
Pour terminer ce
troisième sujet, nous évoquerons la question
des enregistrements effectués par des radios ou
TV.
Voici, pour ce faire, un exemple plus
qu'éloquent.
Quand on se plonge dans la discographie de Lee Konitz
(Subconscious -
Lee 1947-1982 de
Michael Frohne), on est stupéfié par le nombre
d'enregistrements de Lee Konitz effectués par des
radios ou des TV de différents pays.
Et c'est particulièrement ÉNORME pour la
France : et plus précisément en ce qui
concerne les enregistrements réalisés pour
l'ORTF ou pour France Musique (confirmés par
André Francis).
Tout cela dort dans des
caisses sombres à l'abri des oreilles des
passionnés de Lee Konitz.
Y a-t-il quelqu'un, ayant
une influence adaptée, qui s'en préoccupera un
jour avant que l'on ne découvre, par un matin
blafard, que ces bandes auront été
détruites par les méfaits du Temps ?
A SUIVRE ?
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2002.
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Christian Boullangier, août 2002.