- Norman
Granz
Norman Granz : un
entrepreneur d'une grande humanité.
Norman Granz fut
l'organisateur des célèbres concerts du JATP
(Jazz At The Philharmonic).
Cette longue histoire débuta en 1944 au Philharmonic
Auditorium de Los Angelès.
Personne complexe (voire
ambiguë), il a permis pendant des décennies de
diffuser le jazz au monde.
Notamment, grâce au JATP, auprès d'un public
qui ne fréquente pas les clubs de jazz (à des
heures indues aux yeux de la majorité ... silencieuse
!) ainsi qu'à l'étranger. En effet, ces
concerts, organisés comme des grands spectacles, se
déplacèrent pour traverser les
États-Unis (en général deux fois par an
pendant deux mois et demi ; avec au total des concerts dans
près de 60 villes) ; l'Europe ne fût pas
épargnée ; puis ce fut même au tour du
Japon.
Un point essentiel est
à souligner. Il a permis de rétribuer
correctement (et même plus !) des musiciens. Ainsi,
grâce à lui, Lester Young a pu se sortir,
à plusieurs reprises, d'une situation
financière périlleuse. Ce n'était que
la moindre des choses, notamment vis-à-vis d'un des
plus grands saxophonistes ténor. Mais combien de
producteurs et autres personnes n'ont rien fait et ne font
toujours rien pour aider ces musiciens qui apportent tant
à la création et au bonheur !
En 1954, le JATP rapportait quatre millions de dollars et la
plupart des artistes purent recevoir près de 50 000
dollars par an à partir de 1956 !
Donc, c'était une entreprise on ne peut plus
fructueuse, qui garantissait enfin un salaire on ne peut
plus décent à ses "employés", et qui
produisait des concerts-spectacles d'une certaine
qualité (avec certainement quelques
inégalités quand le spectacle prenait le pas
sur la musique) ; et ce, pour le plus grand nombre
d'auditeurs (de nombreux musiciens étaient
habitués à se produire dans des clubs
où la fréquentation était parfois,
voire souvent, réduite à quelques dizaines de
personnes, voire moins ; or, il n'est pas toujours
agréable pour un musicien de se produire ainsi
constamment !).
On a reproché
parfois à ces concerts un certain manque de
subtilité. Ce qui est peut-être vrai mais il
n'était peut-être pas si simple de faire se
côtoyer simultanément tant d'artistes (en
tenant compte de talents apparemment incompatibles, et des
antagonismes existant entre certains musiciens !). Et, par
contre, il ne faut pas oublier que cette subtilité
était distillée ailleurs, à savoir dans
les enregistrements que Norman Granz a permis de faire
à des artistes, en dehors du cadre du JATP, dans
leur(s) propre(s) formation(s), grâce aux
différents labels qu'il a créé
successivement (cf. infra).
Mais qui d'autre que lui a pu réunir au fil des
années :
Côté trompette : Roy Eldridge, Dizzy Gillespie,
Howard McGhee, Charlie Shavers, etc.
Côté saxos : Benny Carter, Sonny Criss, Stan
Getz, Coleman Hawkins, Illinois Jacquet, Charlie Parker,
Flip Philips, Zoot Sims, Willie Smith, Sonny Stitt, Charlie
Ventura, Lester Young, Ben Webster, etc.
Côté chanteuse : Billie Holiday, puis Ella
Fitzgerald (cette dernière a même reçu
des cachets de 5 000 dollars par semaine), etc.
La plupart de ces concerts
ont été enregistrés.
Et pour revenir sur le manque de subtilité de ces
concerts, évoqué par certains
détracteurs, je vous conseille d'écouter, par
exemple, la version de Embraceable You du 18 septembre 1949
(Carnegie Hall, New York, In Bird & Pres, Verve) avec
les solos de Roy Eldridge, de Lester et de Bird ; c'est
aussi beau que les deux versions mythiques de ce
thème (3'45'' et 3'21'') que Charlie Parker avait
enregistrées pour Dial (avec Miles Davis, le 28
octobre 1947) et cela dure 12'15' !
En 1966, eut lieu une des
dernières grandes prestations du JATP avec Dizzy
Gillespie, Clark Terry, Coleman Hawkins, Zoot Sims, James
Moody, etc.
De plus, l'activité
de Norman Granz ne se limita pas à produire des
concerts !
En matière de
production d'enregistrements, ce fut un maître. C'est
lui qui a créé successivement les labels Clef,
Norgan, Verve, puis Pablo. La plupart des musiciens, qui se
produisaient au JATP, ont bénéficié
d'enregistrements de leur(s) propre(s) formation(s) dans ces
labels. Et le nombre d'enregistrements est impressionnant ;
la plupart de très grande qualité.
Quand on pense que, sans lui, on ne pourrait
posséder, de nos jours, certains somptueux coffrets
de CD telles les intégrales de Billy Holiday, de
Charlie Parker ou de Lester Young, etc. !
C'est lui aussi qui
produisit le documentaire Jammin' The Blues qui nous permet
de voir à l'œuvre le grand Lester Young.
Et il convient de
mentionner qu'il adopta dans sa "carrière", à
plusieurs reprises, des attitudes fermes en regard de la
ségrégation qui s'exerçait
vis-à-vis des musiciens n'ayant pas la peau blanche.
Ainsi, en 1947, il s'occupa d'organiser l'occupation d'un
restaurant où la ségrégation
était de rigueur ; il menaça d'un
procès le propriétaire d'un
établissement qui refusait l'entrée à
Count Basie pour un show d'Harry James ; il attaqua la Pan
American Airlines en raison d'un comportement inadmissible
du personnel de cette compagnie vis-à-vis d'Ella
Fitzgerald, de John Lewis (son accompagnateur à cette
époque) et de l'habilleuse d'Ella (refus de
l'accès en cabine en raison de la couleur de leur
peau).
C'était aussi un
grand collectionneur d'œuvres d'art moderne ; il dût
disperser cette collection (Klee, Picasso, etc.) en mai
1968.
Lecture conseillée
: Interview par Laurent Goddet, in Jazz Hot n° 363,
Été 1979 & n° 366, octobre 1979.
© Copyright Dr Gilbert Maurisson, Jazz-Passion,
2002.
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