VII.A.
Effets mutagènes des analogues
nucléosidiques.
Il s'agit d'un sujet
difficile à aborder pour plusieurs raisons.
Tout d'abord, il convient
de préciser clairement que, même en ayant
recours aux tests de mutagénicité les plus
performants (c'est le cas du SOS-Chromotest), il est
difficile d'extrapoler un résultat à la
réalité. En effet, une molécule
trouvée mutagène sur ces tests peut
très bien se révéler
non-mutagène lors de son utilisation chez
l'être humain. À l'inverse, une molécule
trouvée non mutagène, notamment sur des tests
qui seraient moins fiables que d'autres (c'est le cas du
test d'Ames), pourrait se révéler
mutagène lors de son utilisation chez l'être
humain.
De plus, il faut savoir
que pour obtenir une Autorisation de Mise sur le
Marché (AMM) pour un médicament donné,
les autorités sanitaires (en France l'Agence du
médicament) n'exigent pas que figure dans le dossier
de ce médicament une étude de la
mutagénicité réalisée avec le
SOS-Chromotest (le test d'Ames étant encore
considéré comme le test de
référence !). Il est pourtant clairement
établi que le test d'Ames n'est pas un bon test pour
prédire l'apparition de cancers chez des
mammifères
(Quillardet P.,
Mutation Res, 147, 79-95, 1985). Il peut donner 57% de faux
négatifs
(Zeiger F., Cancer
Res, 47, 1287-96, 1987). Par contre le SOS Chromotest est
presque spécifique à 100% (Quillardet, 1988) :
une molécule positive sur ce test est donc
mutagène et cancérigène.
Il conviendrait
déjà de modifier cette
réglementation.
Enfin, il n'a pas
été possible d'aborder, jusqu'à
présent, ce sujet avec sérénité,
notamment quand l'AZT était le seul médicament
officiellement recommandé et même, par la
suite, quand on a utilisé le ddC, le ddI et le 3TC.
En effet, il était délicat d'évoquer un
risque mutagène potentiel pour certains de ces
traitements (notamment de la part de responsables des
Ministères de la Santé) dans la mesure
où les possibilités de traitements officiels
étaient, à l'époque, limitées ;
notamment en ce qui concerne le nombre de molécules
disponibles.
À ce propos, il convient
de souligner la stratégie douteuse de l'industrie
pharmaceutique. Les experts scientifiques des firmes
pharmaceutiques sont au courant à ce sujet. Leur
inertie ne peut s'expliquer que par leur principale
motivation : vendre. Certains n'auraient même pas
testé leur molécule sur le SOS-Chromotest. Ce
n'est pas son coût qui peut expliquer ce fait (moins
de 2 000FF). Peut-être ne sont-ils pas au courant de
la performance de ce test par rapport aux tests classiques
(comme celui d'Ames) ? Cela dénoterait une grave
incompétence
(ce test a
été expérimenté depuis 1988 par
Hoffnung et Quillardet, Institut Pasteur) ! Certains ont
testé leurs molécules. En fait, c'est surtout
certains chercheurs indépendants de ces firmes
pharmaceutiques qui ont testé ces molécules
à la demande (?) ou non de ces firmes (la publication
la plus complète est celle de Mamber S.W. et coll., Agents and
Chemiotherapy, 34, 1237-1243, 1990).
Toujours est-il que ces
résultats indiquent clairement que le risque
mutagène sur le SOS-Chromotest est différent
pour chaque molécule et qu'il est le plus élevé
pour l'AZT (même avec de faibles doses,
inférieures à 100 nanogramme/ml). Il est suivi
de près par le ddI ; le D4T et le ddC étant
les moins positifs. On peut concevoir que la firme
pharmaceutique Wellcome, qui commercialise l'AZT, n'ait pas
souhaité, pour des raisons commerciales, poursuivre
des travaux sur ce sujet. Cela pourrait expliquer aussi
pourquoi le 3TC n'a
pas été testé sur le SOS-Chromotest, ou
plus précisément qui n'ait donné lieu
à aucune publication à ce sujet
(depuis quelques
années, Wellcome et Glaxo, la firme commercialisant
le 3 TC, ont fusionné ...). Cela est d'autant plus
probable quand on analyse certaines stratégies de
Wellcome : refus d'accepter les résultats du
protocole "Concorde" (qui a démontré que l'AZT
en monothérapie, chez les patients asymptomatiques,
n'a pas plus d'effet qu'un placebo ; rappelons qu'à
l'époque l'AZT était la seule molécule
qui avait obtenue une AMM pour les patients au stade Sida,
et qu'il aurait été particulièrement
intéressant d'obtenir une AMM pour les stades
asymptomatiques : le nombre de ces patients est bien plus
élevé que ceux au stade Sida), attitude
scandaleuse vis-à-vis de l'Afrique quand Wellcome,
sous le couvert d'une action soi-disant humanitaire, propose
en 1996 de fournir de l'AZT en monothérapie à
l'Afrique, alors que, dans les pays occidentaux, les
monothérapies sont devenues obsolètes, et que
l'on commence à dire que les trithérapies
devraient être utilisées d'emblée. Il
est compréhensible qu'un des buts d'une firme
pharmaceutique soit de réaliser des profits, mais
certaines limites inadmissibles semblent avoir
été dépassées par Wellcome-Glaxo
!
Il apparaît
aujourd'hui moins difficile d'aborder cette question du
risque mutagène des analogues des nucléosides
dans la mesure où le nombre actuel des
molécules officiellement recommandées pour
établir les trithérapies permet maintenant de
pouvoir choisir parmi plusieurs associations.
Autant avoir
recours à des molécules non-mutagènes,
ou du moins potentiellement les moins
mutagènes
(comme 3TC+D4T+indinavir). Il serait utile aussi de
développer des programmes de recherche concernant le
caractère antimutagène de certaines substances
: en effet, des
résultats préliminaires (association POSITIFS,
1997) ont montré que le ginseng permet de
réduire de plus de 95% la mutagénicité
de l'AZT mise en évidence par le SOS Chromotest ; une
action un peu moins nette a aussi été
trouvée avec le Coptis (la synergie d'action de ces
deux plantes chinoises n'a pas été
testée).
Il semble urgent que ce
sujet soit maintenant abordé officiellement. Et ce
d'autant plus qu'en raison des résultats prometteurs
obtenus avec les trithérapies, de plus en plus de
femmes séropositives souhaitent concevoir un enfant.
Or, l'AZT est le seul traitement actuellement proposé
officiellement pour limiter la transmission du virus de la
mère à l'enfant pendant la grossesse.
Ces
résultats obtenus avec l'AZT sont certes
indiscutables, mais certains auteurs ont émis
l'hypothèse que l'AZT pourrait avoir un effet
néfaste à distance, chez des personnes dont la
mère aurait reçu de l'AZT durant la grossesse
(similitudes chimiques et biologiques avec le
distilbène/DES décrite par Tran MKG, 1992).
Nous avions
d'ailleurs écrit un article à ce sujet en 1994
("AZT et procréation") et quelques mois plus tard,
une instance officielle, le Conseil National du Sida,
conseillait dans un rapport d'essayer d'assurer un suivi
jusqu'à l'âge adulte des enfants dont la
mère aurait reçu de l'AZT durant la grossesse,
tout en précisant que le risque d'effets secondaires
était, d'après eux,
hypothétique.
Il se pourrait que ce
risque de l'effet mutagène soit effectivement minime
car l'AZT dans le protocole ACTG 076 n'est pas prescrit en
début de grossesse, quand ce risque serait majeur.
Mais nous n'en avons pas l'entière certitude et nous
pensons que c'est aussi le cas du ... Conseil National du
Sida, même s'il ne le dit pas explicitement
(n'oublions pas que
c'est la première fois dans l'histoire de la
médecine qu'on recommande, a priori, une telle
surveillance jusqu'à l'âge adulte ; un autre
précédent a eu lieu dans les années
1970, mais a posteriori, avec le ...
distilbène).
Enfin, il ne faut pas
oublier que 35% des transmissions ont lieu en début
de grossesse et que de plus en plus d'experts internationaux
considèrent que même les femmes enceintes qui
reçoivent une trithérapie, devraient la
recevoir en permanence (donc même en début de
grossesse), notamment parce que l'arrêt transitoire
d'une trithérapie (pendant la durée d'une
grossesse -voire limité au début de cette
grossesse) peut être néfaste pour le pronostic
de la mère.