F.
Trithérapies et multithérapies.
Concernant les
trithérapies, de nouvelles recommandations ont
été publiées par des experts
internationaux à la fin du 2ème trimestre
1997. S'il existe un consensus sur l'idée de "traiter
tôt et fort", les avis divergent encore sur les
chiffres biologiques à retenir comme points
limites.
Les
bithérapies (AZT-ddI, AZT-ddC, AZT-3TC) ne doivent
plus être utilisées car elles risquent de faire
apparaître des résistances qui rendront moins
efficaces les trithérapies utilisées
ultérieurement. Certaines molécules ne
peuvent être associées, comme, par exemple, ddI
et ddC (même cinétique intra-cellulaire,
toxicité additive), D4T et AZT (antagonisme :
cinétique intra-cellulaire compétitive), D4T
et ddC (toxicité additive).
L'instauration des trithérapies est donc, maintenant,
recommandée officiellement en cas de signes cliniques
(infections opportunistes), quelque soit le niveau des CD4
et de la charge virale.
C'est aussi le cas, même en cas de charge virale
satisfaisante, si les CD4 sont inférieurs à
200/mm3, et, pour de plus en plus de
spécialistes, si les CD4 sont inférieurs
à 350/mm3 ; certains spécialistes les
recommandent même en cas de CD4 inférieurs
à 500/mm3.
Enfin, même en cas
de CD4 très élevé (semble-t-il),
l'instauration des trithérapies est officiellement
recommandée si la charge virale est supérieure
à 30 - 50 000 copies/ml. Certains spécialistes
les recommandent même dès 10 000 copies/ml -
voire dès 5 000 copies/ml.
Chez les personnes non
traitées, la charge virale doit être
vérifiée tous les trois à six
mois.
L'association
D4T, 3TC et
indinavir, qui est
une des trithérapies qui semble la plus
intéressante du point de vue de son
efficacité, devrait être utilisée en
première intention.
Les associations comportant du nelfinavir semblent
prometteuses. Il semble que cela soit aussi le cas de celles
comportant deux inhibiteurs de protéases.
Sous trithérapie,
l'idéal est de parvenir à une charge virale
indétectable en six mois et, si possible,
plutôt en trois mois.
En cas de réapparition d'une charge virale
détectable, ce résultat doit être
confirmé impérativement 15 jours après
et conduire, si possible, au remplacement d'au moins deux
des trois molécules.
Il en est de même si la charge virale était
restée détectable, mais en ayant baissé
initialement d'au moins 1,5 à 2 log, et qu'elle
dépasse ensuite le niveau antérieur de 5 000
à 10 000 copies/ml. Une charge virale qui resterait
supérieure à 1 000 copies/ml trois mois
après le début d'une trithérapie serait
prédictive d'un risque rapide de rebond.
En cas d'échec
d'une trithérapie associant 2 nucléosides
(D4T-3TC, AZT-3TC, D4T-ddI, AZT-ddI) à 1 inhibiteur
de protéase, plusieurs possibilités ont
été proposées, certaines étant
encore à l'étude :
1. Utiliser
d'autres nucléosides et remplacer l'inhibiteur de
protéase par un non-nucléoside (nelfinavir,
saquinavir, ritonavir, indinavir remplacés par
delavirdine ou par névirapine).
2. Utiliser d'autres nucléosides et utiliser un autre
inhibiteur de protéase (saquinavir remplacé
par ritonavir, ou par indinavir, ou par nelfinavir ;
ritonavir ou indinavir remplacés par nelfinavir, ou
remplacer nelfinavir par ritonavir, ou par indinavir).
3. Utiliser 2 nucléosides et 2 inhibiteurs de
protéase (ritonavir et saquinavir ou nelfinavir et
saquinavir ou nelfinavir et ritonavir ou nelfinavir et
indinavir).
4. Utiliser névirapine et indinavir et 1 ou 2
nucléosides ; ou névirapine et ritonavir et 1
ou 2 nucléosides.
En cas
d'échappement, des traitements de "sauvetage" sont
étudiés depuis 1997. Une synthèse
portant sur 18 études a été
établie par l'Association Française de
Sidénologie de Ville et publiée dans
La
lettre de SIDA -
LOGOS (avril 1998).
En fonction des
inhibiteurs de protéases, certains proposent les choix
suivants.
Pour l'indinavir : le remplacement par saquinavir +
ritonavir ne semble pas intéressant, sauf s'il est
réalisé rapidement et si la charge virale est
encore basse.
Pour le ritonavir : l'ajout de saquinavir
paraît peu intéressant ; son remplacement par
saquinavir + nelfinavir pourrait être plus
intéressant.
Pour le saquinavir : l'adjonction de ritonavir ou son
remplacement par indinavir, seul ou associé à
névirapine (mais pas nelfinavir), pourrait être
efficace dans 50% des cas.
Pour le nelfinavir : le remplacement par saquinavir +
ritonavir serait intéressant, sauf en cas de charge
virale élevée.
En cas
d'échappement thérapeutique, il serait
important de s'assurer que des interactions
médicamenteuses ne soient pas en cause ; car cela
nécessiterait d'augmenter les posologies de certains
médicaments. Il serait donc utile de pouvoir
recourir à un dosage sanguin de certains
médicaments, notamment de l'indinavir (et même avant que des
résistances n'apparaissent !).
Pour ce faire, actuellement, les médecins peuvent
s'adresser à la pharmacie de l'hôpital Bichat
(Paris) : 01 40 25 80 17 ou à celle de
l'hôpital Ambroise Paré.
Il serait important de
pouvoir aussi évaluer préventivement les résistances acquises
par le virus vis-à-vis des antiviraux.
Les tests les plus
intéressants (test dits "phénotypiques") sont
en cours d'étude. Le premier, mis au point par le
laboratoire Virco (661, Drie-Eikenstraat, Edegem, B 2650,
Belgique, Tel : +32 3 825 5015) permet de tester la
sensibilité du VIH vis-à-vis de 11 antiviraux
et coûte, aux USA, ... 5 000 FF. D'autres tests sont
à l'étude aux USA (Virologic, 270, East-Grand
Avenue, South San Francisco, California 94080, USA, Tel : +1
650 635 1100, Fax : +1 650 635 1111) et en France
(Hôpital Bichat à Paris).
À ce sujet, il faut savoir
que le niveau de la charge virale à partir duquel
apparaissent les résistances serait plus bas que
celui à partir duquel le traitement ne serait pas
assez efficace pour s'opposer à l'apparition des
infections opportunistes ; ce dernier serait de 5 000
copies/ml.
Une étude portant sur 1 448 personnes a montré
que 195 évoluèrent vers le Sida ou le
décès. 188/195 (96%) avaient plus de 5 000
copies/ml. Sur les 323 patients ayant moins de 5 000
copies/ml, seulement 7 (2%) ont progressé : 2
décès pour une cause autre que le Sida, 2
lymphomes immunoblastiques et une rétinite à
CMV. La charge virale des 195 personnes qui ont
progressé vers le stade SIDA, resta constante, au
niveau atteint lors de la progression (Schlomo Staszewski,
Conférence de Hambourg, 1998).
Pour les patients ayant
eu, sous trithérapie, une augmentation de leurs CD4
au dessus de 200/mm3 se pose maintenant la question de
l'arrêt, ou de la poursuite, de leurs prophylaxies
primaires de la pneumocystose et de la toxoplasmose, ainsi
que d'autres infections opportunistes.
Concernant
l'efficacité de ces
trithérapies : avec un recul de deux ans, les
plus efficaces le sont dans 70% des cas. Il apparaît
que l'échec des trithérapies est
supérieur à 30% chez les patients qui ont
reçu au préalable des bithérapies ou
des monothérapies. Enfin, il ne semble pas qu'elles
aient permis de réduire l'incidence de certaines
infections opportunistes redoutables, et principalement les
lymphomes.
Il est donc fondamental d'une part, de développer des
essais comportant l'association de plus de trois
molécules
(des essais de quadrithérapies sont en cours) et
d'essayer ainsi de supprimer complètement la
réplication du VIH ; ce qui permettrait
d'empêcher que n'apparaissent des résistances
aux traitements. D'autre part, il est fondamental
d'envisager l'étude des associations comportant des
trithérapies (voire quadri et penta-thérapies)
avec des traitements dits "complémentaires",
notamment ceux qui agissent sur les cofacteurs du VIH qui
sembleraient les plus opérationnels.
Concernant ces traitements
complémentaires, il apparaît maintenant que de
plus en plus de personnes sont convaincues de
l'intérêt de certains de ces traitements :
c'est le cas, depuis peu, des vitamines C et E. Il importe d'envisager
l'utilisation d'autres voies de traitements
complémentaires, qui semblent aussi -voire plus-
intéressantes. Il conviendrait aussi de
définir, parmi ces traitements
complémentaires, ceux qu'il serait opportun
d'utiliser très précocement, avant même
l'introduction d'une trithérapie.
Il importe aussi de
recourir à d'autres marqueurs biologiques,
complémentaires des T4 et de la charge virale. Ceci
est important pour augmenter la sensibilité, la
spécificité et les valeurs prédictives
des marqueurs biologiques, mais aussi pour mieux comprendre
le mode d'action des traitements.
Ainsi, par exemple, une étude chez 8 patients
(moyennes initiales des CD4 à 540/mm3 et de la charge virale à
4,2 logs) qui ont reçu, comme premier traitement, AZT
+ ddC + saquinavir, a montré une rapide diminution,
en moyenne, de la charge virale plasmatique de 1,75 log avec
une diminution de la réplication du VIH au niveau des
ganglions. Le pourcentage des T4 au niveau des ganglions
reste stable au 1er mois (55%) et augmente au 3ème
mois (41 à 58%). Les sous-populations des CD45RA+ et
des CD45RO+ des lymphocytes T-helper correspondent alors
à la presque totalité des T4 et la fraction
des T4 contenant le génome du virus diminue
progressivement pour devenir insignifiante au 3ème
mois. De plus, un plus grand nombre de T8 expriment
maintenant la molécule CD28 de co-stimulation. Donc,
ce traitement, à côté de son action
antirétrovirale, permet, au stade précoce, la
repopulation des ganglions par les T-helpers mémoires
et naïfs (cellules CD45RA+ et CD45RO+) ; ces T4
présentent le phénotype de l'activation
précoce et les T8 semblent récupérer
des épitopes associés à des fonctions
normales (Van
Lunzen J. et coll., Conférence de Hambourg,
1998).
Une autre étude chez 41 personnes ayant des T4 entre
100 et 500/mm3, traitées par ritonavir +
saquinavir, a montré que la charge virale diminuait
de 4,74 logs à 2,30 (seuil de détection) au
6ème et au 12ème mois et que les T4
augmentaient de 274 à 400/mm3 au 6ème mois et à
458 au 12ème mois. De plus, après 1 mois,
parmi les non répondeurs initiaux aux réponses
prolifératives à l'ag P24 et au test du PHA,
9/39 et 22/34 le devinrent respectivement ; au 6ème
mois, 8 autres patients devinrent aussi répondeurs.
L'induction de l'interleukine 2 par le PHA passa en moyenne
de 268 à 716 pg/ml au 6ème mois. On observa
aussi une augmentation de l'IL-12, de l'IL-10 et de
l'expression du CD28 sur les lymphocytes CD8. Ces
résultats préliminaires suggèrent que,
en plus de son action antirétrovirale, ce traitement
permet de restaurer les capacités du système
immunitaire (Angel
J.B. et coll., Conférence de Hambourg,
1998). Il
conviendrait de développer ce type d'études en
utilisant d'autres marqueurs comme, par exemple, la
néoptérine (Janßen M.N. et coll.,
Conférence de Hambourg, 1998).
Pour terminer ce
paragraphe, il convient de souligner certaines
conséquences de l'utilisation des
multithérapies.
Tout d'abord, tout nouveau médicament
étudié devra être comparé aux
associations reconnues comme étant les plus efficaces
(actuellement trithérapies) et en l'ajoutant à
ces associations. La situation risque donc de devenir
complexe en raison du nombre de possibilités, et de
conduire à des impasses ; car il ne sera pas possible
de financer tous ces essais thérapeutiques.
D'où la nécessité de développer
plus activement la recherche en matière de marqueurs
biologiques. Déjà, il faudrait
améliorer la sensibilité de la mesure de la
charge virale. Mais il conviendrait de définir des
associations de marqueurs biologiques qui soient encore plus
sensibles, plus spécifiques et ayant les meilleures
valeurs prédictives sur la base de la charge virale,
des CD4, mais aussi des lymphocytes totaux, de la
néoptérine, des triglycérides et de
bien d'autres marqueurs, qui, pris isolément, ont un
intérêt limité, mais qui associés
à d'autres permettraient d'obtenir de meilleurs
résultats.
Un autre point, qui
découle du nombre élevé de
médicaments associés, est à soulever.
Il s'agit des interactions médicamenteuses. En raison
des effets secondaires survenant au cours des
trithérapies, on s'est de plus en plus penché
sur ces interactions du point de vue de ces effets
secondaires. Il conviendrait aussi de développer des
travaux de recherche sur ces interactions du point de vue
des effets synergiques et antagonistes. Il s'agit, aussi,
d'un domaine exploré antérieurement par la
médecine, mais qui se révèle beaucoup
plus complexe quand l'analyse porte sur plus de deux -voire
trois ou quatre molécules.