Parmi les
plaies qui frappent l'Afrique, il y en a une, parmi celles
décrites dans l'article intitulé "Les sept
plaies de l'Afrique", paru dans Alternatives Économiques
(n° 152,
octobre 1997), qui mériterait d'être enfin plus
largement évoquée : il s'agit du Sida.
En effet, l'Afrique, avec
plus de 14 millions de personnes infectées par le
virus du Sida, est le continent le plus touché par
cette épidémie planétaire, et les
répercussions du Sida sont multiples
(démographiques, sociales et économiques) et
risquent, d'un point de vue économique, de concerner
aussi à l'avenir les autres pays.
En raison de l'état
de pauvreté de nombreux africains, de la situation
précaire des infrastructures sanitaires et des moyens
très limités pour développer des
campagnes d'informations et de prévention, cette
épidémie n'a pas cessé de
s'étendre sur ce continent. Et ce, depuis le
début de l'épidémie en 1981 ; car ce
fut aussi un des premiers continents à avoir
été autant touché.
À ceci, il faut ajouter
trois autres causes pouvant aussi expliquer l'ampleur de
cette épidémie en Afrique. Deux faits d'ordre
socioculturel ont favorisé cette extension : il
s'agit de la polygamie, dont la fréquence est plus
élevée que dans les autres pays, et de la
difficulté de faire passer les messages de
prévention concernant la recommandation de
l'utilisation du préservatif (les campagnes sont
certes limitées, mais surtout les messages transmis
ne sont généralement pas adaptés aux
contextes socioculturels africains). Il conviendrait
d'autant plus de développer ces campagnes que souvent
la peur du Sida est telle que certaines personnes atteintes
préfèrent ne pas contacter les structures
sanitaires, redoutant que leurs proches apprennent leur
maladie. La troisième, d'ordre économique, est
particulièrement spécifique à l'Afrique
: il s'agit du fait que le recours à l'allaitement
maternel est la seule manière de nourrir les
nourrissons, et même les bébés
jusqu'à un âge avancé ; ce qui fait que
le mode de contamination des enfants par cette voie est
très fréquent et que les prévisions
concernant le nombre d'adultes jeunes infectés - une
partie des adultes actifs de demain - sont des plus sombres.
Les nombreux conflits armés constituent une
quatrième cause dont les conséquences sont
nombreuses : aggravation de l'état de pauvreté
de certaines personnes et de l'état des structures
sanitaires. Et ces guerres rendent parfois encore plus
précaire l'accès aux soins quand les personnes
séropositives doivent s'expatrier de leur pays en
guerre et migrer dans d'autres pays d'Afrique, en devant
alors, parfois, se séparer de leur famille.
Depuis déjà
quelques années, l'épidémie due au Sida
a des répercussions économiques : des
entreprises, qui avaient pu se développer depuis les
années 70, ont été mises en
péril en raison de l'état de santé de
leurs dirigeants. Ces répercussions risquent de
devenir très préoccupantes dans la mesure
où la plupart de ces entreprises se sont
développées, en marge de toute aide de
l'État, dans le cadre d'une économie de
survie, celle du secteur "informel", qui a permis d'absorber
une part importante et croissante de la population active,
au détriment, notamment du secteur public. Or,
certains économistes, comme Jacques Charmes
(Directeur de recherche à l'Orstorm), cité
dans "Les Sept Plaies de l'Afrique ", considèrent que
les "micro-entreprises" issues de ce secteur informel
pourraient devenir un levier du développement
économique en Afrique.
L'Afrique n'a pas encore
sombré sous cette épidémie, mais si
aucune solution n'était apportée pour lutter
contre cette progression, actuellement inexorable, cela
pourrait mener à une réalité bien
tragique. Cela pourrait être ensuite le cas d'autres
pays fortement contaminés, comme ceux d'Asie et
certains pays d'Amérique du Sud. Et, à ce
moment-là, est-ce que les avancées en
matière de traitement pourront être encore
suffisantes pour enrayer ce processus ?
À ceci, il faut ajouter
que si l'Afrique sombrait sous cette épidémie,
il n'est pas exclu, ce qui ne semble pas encore être
le cas, qu'alors, cela occasionnerait des
répercussions économiques importantes qui
affecteraient aussi les autres continents par le biais des
répercussions économiques sur les pays
occidentaux ayant actuellement des échanges avec les
pays d'Afrique, notamment avec ceux qui possèdent des
ressources naturelles importantes.
Il importe donc de se
pencher réellement sur les moyens à envisager
pour enrayer cette épidémie en Afrique.
Actuellement, on fait trop
peu dans ce domaine, et peu nombreux sont ceux qui ont
perçu la nécessité d'une intervention
urgente au niveau international, et qui ne se limiterait pas
seulement à des organismes médicaux et/ou
humanitaires.
Il faudrait
déjà qu'un effort financier
considérable soit proposé pour pouvoir
améliorer la situation des infrastructures
sanitaires. Il faudrait aussi, ce qui est actuellement plus
illusoire, que l'on puisse combattre réellement les
situations d'extrême pauvreté des personnes, et
les fléaux que constituent les guerres, car cela
entrave indirectement l'accès aux soins.
Quand donc les Africains
auront-ils accès aux trithérapies dont les
résultats obtenus dans les pays occidentaux sont
très encourageants ?
Pourquoi, actuellement,
sous le couvert d'une action soi-disant humanitaire, la
firme pharmaceutique Wellcome fournit-elle de l'AZT à
l'Afrique (son efficacité en monothérapie est
très restreinte et il est admis par l'ensemble de la
communauté scientifique internationale que l'on ne
doit plus prescrire de monothérapie, voire de
bi-thérapie, au risque de réduire
l'efficacité des trithérapies utilisées
ultérieurement) ? A-t-on le droit d'autoriser une
firme pharmaceutique à fourguer de l'AZT à
l'Afrique sous le couvert d'une action humanitaire, puisque
le marché de l'AZT est en train de s'épuiser
dans les autres pays et que ce ne serait pas demain la
veille que l'Afrique bénéficiera des
trithérapies ? Les Africains n'ont-ils pas le droit
d'avoir accès à des traitements similaires
à ceux des autres populations ? Et combien
d'Africains ont accès à l'autre grande
avancée thérapeutique que sont les traitements
préventifs de certaines affections opportunistes
?
N'est-il pas illusoire de
penser qu'on pourrait stopper une épidémie
planétaire en ne traitant correctement que certaines
populations ? Souhaiterait-on en arriver à ce que
certains dirigeants proposent de fermer certaines
frontières ?
Une solution
mériterait d'être envisagée dès
maintenant : il pourrait s'agir d'inclure dans le coût
du traitement d'une personne vivant dans un pays occidental,
le coût des soins pour une ou plusieurs autres
personnes, de façon à financer le traitement
d'une partie des malades vivant dans des continents
très démunis financièrement. Cela ne
pourrait être opérationnel qu'à la
condition d'améliorer, en parallèle, la
situation des infrastructures sanitaires, et de lutter
contre les problèmes de nutrition et contre d'autres
maladies graves, telle la tuberculose.
Malgré cette
situation assez catastrophique et accablante pour
l'humanité, des interventions peu onéreuses
permettent déjà d'améliorer
l'accès à l'information des habitants
d'Afrique, et la transmission des messages de
préventions.
En raison du coût
élevé du prix du papier, de son transport et
de celui des envois postaux, les Africains n'ont jamais eu
vraiment la possibilité de pouvoir s'informer.
Depuis quelques temps,
certains ont émis l'hypothèse que
l'accès au réseau Internet permettrait
d'apporter une solution à ce problème (voir
par exemple Le
MONDE diplomatique, numéro Hors-série,
octobre 1996). Et, effectivement, des serveurs Internet ont
commencé à voir le jour, et certains africains
ont pu se connecter au réseau pour obtenir des
informations et pour poser des questions par courrier
électronique (e-mail). Nous avons pu nous-mêmes
le constater car nous avons créé un serveur
Internet consacré au Sida
(<http://www.positifs.org/>) qui, à la
mi-octobre 97, a été consulté
près de 100 000 fois, et notamment par des habitants
d'Afrique ; et nous avons pu établir des
correspondances électroniques avec certains
d'entre-eux. C'est d'ailleurs ce phénomène qui
nous a conduit à publier sur notre serveur Internet
les témoignages de personnes vivant en Afrique, en
espérant, de cette manière, en sensibiliser
certains parmi ceux qui consultent notre serveur, ainsi que
d'autres qui possèdent le pouvoir de décider
à différents niveaux.
Il importe de mentionner
que l'essor du réseau Internet devrait permettre
d'améliorer la communication en général
entre les personnes, et que cela pourra concerner tous les
continents. En effet, de nouvelles technologies, tel le
boîtier Web-TV, permettent, depuis peu, d'avoir
accès au réseau Internet sur un simple
écran de télévision et de pouvoir
échanger des e-mails, et ce sans ordinateur, mais
avec un clavier, bien entendu. À ceci, il faut ajouter que
l'accès au réseau Internet à partir de
n'importe quel point du globe terrestre devrait être
facilité prochainement par l'utilisation de
satellites (projet de financement du
désamorçage de 50 fusées russes, dans
le cadre du désarmement nucléaire,
proposé par Monsieur Bill, Gates de Microsoft, au
Président des États Unis ; en échange
de quoi, il aurait l'autorisation d'utiliser ces
fusées comme lanceurs de satellites de transmission
pour Internet).
L'illettrisme qui touche
une partie de la population est certes actuellement un
problème incontournable par cette technologie ; mais
il importe déjà qu'une partie de la population
soit mieux informée, et en particulier les personnes
qui servent de relais auprès de la population, comme
c'est le cas des membres d'associations de lutte contre le
Sida dans ces pays.
Association
POSITIFS